Rani, une histoire palestinienne

Rani, une histoire Palestinienne

Les maux de Rani Burnat

Je suis né dans le village de Bil’in en 1981. Bil’in est un petit et pauvre village de Cisjordanie en Palestine. Dans le passé, les 1700 habitants du village vivaient d’agriculture et de la fabrication d’huile d’olive, jusqu’à ce que l’occupation et les colonies israéliennes nous confisquent 70 % de nos terres, rasent nos beaux oliviers et nous laissent sans emploi.
J’ai fini mon examen en électronique au lycée avec les honneurs, j’allais rentrer à l’université lorsque la seconde intifada et l’occupation ont mis un terme définitif à tous mes rêves.
Le 30 septembre 2000, j’ai participé à une manifestation pacifiste à Ramallah contre l’intrusion d’Ariel Sharon à la mosquée Al Aqsa de Jérusalem, troisième lieu saint de l'Islam. Les soldats israéliens se sont alors mis à tirer à balles réelles sur les manifestants qui pour la plupart étaient des étudiants non armés. Ils ont tué nombre d’entre nous et je fus l’un des nombreux blessés ce jour-là, ce jour qui changera ma vie pour toujours. Une balle dite « butterfly » (« papillon » car elle tourbillonne sur elle-même une fois la cible atteinte et fait des ravages internes) est entrée à la base de mon cou et est ressortie dans mon dos endommagement 3 de mes vertèbres et la plupart de mes organes digestifs, faisant de moi un des martyrs de Palestine. Après un long coma, 8 opérations et un an en soins intensifs à l’hôpital de Amman en Jordanie, je suis paralysé à vie, j’ai perdu la mémoire et fut incapable de parler pendant des années.
Je vis désormais sur une chaise roulante, ne pouvant utiliser qu’une seule main valide. Malgré tout, cela ne m’empêche pas de revendiquer mon opinion et de dire NON à l’occupation, NON à l’oppression, NON à l’injustice, NON à l’emprisonnement politique, NON au mur de l’apartheid, NON aux colonies… Je veux croire à la paix, à la liberté et à l’indépendance de mon pays même après plus de 63 ans d’occupation.
Je continu de participer à des manifestations que le comité de résistance populaire pacifiste de mon village et d’autres organisent chaque vendredi et jours de célébrations avec des activistes internationaux ainsi que des israéliens qui viennent montrer leur solidarité et supporter le peuple palestinien. Nous protestons contre le mur raciste qui défigure notre paysage et supprime nos libertés, la confiscation de nos terres, de notre eau, la construction effrénée des colonies en territoires occupés et la répression agressive constante de l’état d’Israël envers les palestiniens. Notre petit village est entouré de 4 colonies illégales en continuelle expansion. La colonie de Modiin Illit, la plus grande des territoires occupés, est construite sur nos terres où vivent maintenant plus de 45 000 juifs uniquement! Ces colonies et le mur de séparation gardés par l’armée israélienne sont en totale violations des droits internationaux.
Je suis toujours au front ; Cela fait 6 ans que je m’initie à la photographie grâce à l’aide de nombreux journalistes, avec mon appareil photographique je veux témoigner de notre vie quotidienne. Je me dédie à la cause corps et âme,  ma vie n’a plus d’importance, je n’ai plus peur car je suis déjà mort une fois. Mes photos sont mes armes à moi afin que le monde ne nous oubli pas, car l’oubli tue l’espoir et l’espoir c’est la vie. Depuis, j’ai été blessé de nombreuses fois par des balles en plastiques et des grenades, souffert de gaz lacrymogènes… Les soldats ont par 3 fois cassés la chaise roulante sur laquelle j’étais et même 2 appareils photo professionnels offerts par des amis, mais je suis persistant et ne renoncerai jamais à ma mission d’information c’est mon but et ma raison de vivre. Enfin, aujourd’hui j’ai une autre raison, il y a 3 ans j’ai eu la chance de me marier avec une femme adorable qui comprend ma situation et Dieu nous a béni d’enfants, des triplets, un garçon et 2 filles.
Malgré toutes les difficultés, les blessures, les répressions, les incursions de nuit, les arrestations forcées de plus de la moitié de mon village et de ma famille, mon petit frère de 17 ans a été arrêté ce mois de mai sans aucune raison, nous n’avons bien sur aucune nouvelle et la mort de mes amis tel Bassem Abu Rahmah et sa sœur Jawaher, abattu par un gaz lacrymogène de haute vélocité lors de l’une de nos démonstrations … Je suis déterminé à me battre pacifiquement et à résister contre l’injustice. Mon père Wageed est un poète qui parle parfaitement hébreux, mon grand frère Ibrahim est un artiste qui récupère les munitions que les soldats nous jettent afin de créer des œuvres d’art. Nous avons voyagé en Europe afin de présenter au monde le film de « Bil’in mon amour ». Les choses change petit à petit, je garde espoir. Je suis très fier de ma famille et d’être palestinien.
Ensemble nous continuons la lutte, en documentant notre situation afin que nos enfants vivent dans un futur d’amour, de paix et de liberté.
Rani Burnat
« Nous souffrons d'un mal incurable qui s'appelle l'Espoir » Mahmoud Darwich (Palestinien)

Je réalisais un reportage sur « Les femmes combattantes pour la paix dans le conflit israëlo-palestinien » pour une ONG française, lorsque j'ai rencontré Rani Burnat dans la manifestation hebdomadaire de son village. Son histoire m'a beaucoup touchée et le fait qu'il soit photographe m'a immédiatement donné l'envie de réaliser une histoire sur sa vie. Rani et sa femme ont exactement mon âge, 30 ans; j'aurais pu vivre les mêmes expériences si j'étais née palestinienne. Nous sommes vite devenu de très bons amis. Ils m'ont alors gentiment invité chez eux pendant plus de 2 semaines, dans leur petite maison au coeur du conflit. J'ai donc eu le privilège de vivre leur quotidien et de capter des moments de leur vie intime. Rani ne peut travailler et sa passion pour la photographie ne lui rapporte que très peu dans un pays miné par le chômage. De plus, sont équipement spécialisé ( chaise roulante, lit …) est très onéreux. Il documente de manière bénévole le Comité de résistance populaire de son village et la vente de CD de ses photos aux étrangers activistes présents aux manifestations ne lui rapporte que très peu. Aussi Rani et sa famille ne vivent que des dons d'associations internationales, lesquels se font de plus en plus rares en cette période de crise. Je réalise depuis des années, une sorte de « photo-activisme » en me portant volontaire dans différentes associations lors de mes reportages. Constater ce « photo-activisme » de la manière la plus engagée chez Rani qui témoigne avec assiduité de son oeil excellent chaque manifestation, seul sur sa chaise roulante au milieu des gaz lacrymogènes et des balles, faisant tout de sa seule main valide, m'a donné un respect infini pour cet homme incroyable.
Pour voir son travail : http://friendsofrani.wordpress.com